Des orteils vernis comme des petits M&Ms me ravissent. Encore mieux, les ongles 50s rouge baiser des actrices Mad Men aspirant la fumée d’une cigarette. Mais par paresse, je me limite à deux ou trois manucures par an. Ainsi, c’est avec joie que j’ai découvert que le vernis à ongles est hautement toxique, ce qui m’a illico décomplexée de ne pas répondre à cet aspect de la femme parfaite.
Il y a tout un tas d’obligations qui découlent du statut de femme digne de ce nom : gommage, épilation, crème visage/ corps / cheveux / pieds, nettoyage visage, masques visage/ cheveux et même corps, brushing, maquillage, crème solaire, sérums, massage anti-cellulite, fitness, parfum et, justement, vernis à ongles. Des fois, je culpabilise parce que je ne fais pas tout.
Lorsqu’il a fallu prévoir une activité amusante pour The Artist’s Way, le fait d’avoir une excuse pour aller chez la manucure malgré mon statut de fauchée était tout simplement jouissif.
Parenthèse
La fois dernière que j’ai été dans un « nail studio », c’était en 2009, lors d’un séjour mythique à Los Angeles. Pour la première fois, je gagnais de l’argent et je gagnais une blinde. Au lieu d’économiser, je dépensais tout en manucure, pédicure, massages, cours de yoga, farandole de robes multicolores de chez Urban Outfitters et nori wraps de chez « Raw », le premier resto cru de la ville (et donc du monde).
Lorsque je suis allée chez la pédicure, je venais de marcher des kilomètres sur Venice Beach en sandales inappropriées. Les trois asiatiques agenouillés à mes pieds ont éclaté de rire en voyant mes talons de pauvresse. J’éprouvais une certaine honte à ce que quelqu’un soit à mes pieds et pensais que le fait qu’ils soient abîmés compensait un peu. Je n’étais ainsi pas tant la bourgeoise venant se faire dorloter ses doux petons de oisive qu’une gamine de 17 ans émerveillée parce qu’elle vient de gagner au loto de la vie.
Fin de la parenthèse, retour à Berlin
Je suis surexcitée à l’idée que quelqu’un s’occupe de moi autrement que pour un brasilian waxing. Kevin Nails est tenu exclusivement par des asiatiques qui ne parlent ni allemand, ni anglais, sauf pour l’homme à l’accueil, costume trois pièces marron et chaussures laquées pointues. Le mac du nail studio.
Il m’indique un fauteuil pour patienter. Je jette un œil au magazines : Gala, FrauenBild, un magazine de foot… et décide de plutôt regarder autour de moi. À ma gauche, une affiche montre de longues griffes rouges saisissant un collier de perles sur un drap de satin noir. À ma droite, une autre représente une femme aux paupières bleu canard et lèvres fushia.
La même couleur de rouge recouvre celles, gercées, de la jeune fille qui va s’occuper de mes mains. Ses cheveux ont viré au bleu-gris et, par-dessus une couche de fond de teint assez épaisse, les sourcils ont été redessinés au crayon. Ses ongles French sont impeccables.
Elle me sourit timidement. Avec une infinie délicatesse, elle pose mes mains dans de l’eau tiède savonneuse et, avec la même application, coupe les petites peaux autour des ongles. Ma greenista intérieure panique : mais si les petites peaux sont là, ça doit être pour quelque chose !
En effet. Quelques secondes plus tard, deux de mes doigts saignent. La manucuriste me lance un sourire d’excuse, puis, une lueur d’effroi dans le regard, prononce ce qui est probablement un des seuls mots qu’elle connaît en allemand : « Entschuldigung ». Je lui rend un sourire censé signifier que je ne la dénoncerai pas.
Derrière moi, une femme noire en boubou explique que trois de ses fausses griffes strassées se sont décollées et qu’elle aimerait ne se faire recoller que les trois manquantes. L’homme aux chaussures laquées essaie de la convaincre que ce n’est pas possible, qu’il faut tout refaire, sinon ce ne sera pas joli.
Après la séance de charcutage, je me fais appliquer un vernis « paillettes Barbie », car c’est le genre de couleur que je n’achèterai probablement jamais et qui aurait également plu à une petite fille de 5 ans, donc absolument kiffante. À ma gauche, une cliente se désole car ce qu’elle voulait, ce n’était pas un vernis à paillettes doré sur l’annuaire et les autres ongles en rose flashy, voyons, mais une French manucure rose flashy/doré sur chacun de ses doigts. Plusieurs manucuristes se réunissent autour d’elle et confirment que ça aurait été bien mieux ainsi, mais que bon, c’était un malentendu, car « kein Deutsch sprechen ».
Une jeune fille arrive avec son mari ou son père. Posant son sac chic sur le comptoir, elle demande, sans ciller, la totale : mani + pédicure avec pose de vernis et supplément nail art. 37€ ! Quelques clientes se retournent.
La femme bourgeoise à ma droite, habillée décemment et venue jusqu’ici pour au final se faire poser un vernis de la même couleur que celle de ses ongles, laisse place à la femme en boubou. Le mac du studio a dû capituler.
À la fin, je dois glisser mes mains sous une espèce de ventilateur qui va permettre de faire sécher mon vernis paillettes Barbie et le sang. Ça prolonge la tenue du vernis et en effet, lorsqu’une semaine plus tard, à la veille d’un entretien d’embauche, j’essaie de le retirer, je constate que c’est impossible, que ce soit avec un dissolvant ou en polissant mes ongles. J’espère seulement que mon futur employeur trouvera aussi que la couleur est absolument kiffante.
[…] On peut aussi faire une balade à vélo, un soufflé, aller à un club de jazz, à la piscine, chez la manucure, aller voir l’expo « Barbie » au musée de la mode, visiter une autre […]