Il fut un temps où je croyais que les pubs Tommy Hilfiger n’étaient qu’un mythe : la famille comme un clan, dont tous les membres vêtus dans le même style bourgeois font briller à leur manière les pages glacées des magazines de mode. C’était avant que je ne me rende à l’anniversaire d’Antoinette von Grunewald.
J’ai rencontré Antoinette il y a quatre ans, alors que sa famille rendait visite à la mienne. Nous nous connaissions à peine qu’elle m’a chaleureusement invitée à son anniversaire avec un authentique enthousiasme. « Tu verras, on a un château à la campagne, tu pourras voir tous nos chiens, chats, grenouilles, poules et même monter le cheval ! Je serais si heureuse que tu vienne ! ». Au dernier moment, je n’avais pas pu venir, et nous ne sommes plus revues depuis.
Je la suivais de loin, sur Instagram, où elle poste des photos de sa vie élégante, des robes qu’elle crée et de ses looks raffinés, très Grace Kelly. Quand elle a déménagé à Berlin, nous avons décidé de nous revoir… à la fête qu’elle donne pour ses 20 ans.
Un samedi après-midi, je pénètre donc la cour intérieure d’un immeuble ancien du quartier de Schöneberg, quand Antoinette accourt et me serre très fort dans ses bras. « Ça me fait tellement plaisir que tu sois venue ! ».
Antoinette
Silhouette n°1 : robe rose fushia de sa création, ballerines noires vernies façon Repetto, bracelet or et ivoire qui enlace son bras mince et un petit peu trop de fond de teint, comme pour la plupart des invitées de la soirée.
« À la soirée Tiffany & co à Rome, un homme a demandé à voir des photos de mes robes. Je lui en ai négligemment montré quelques unes sur mon iphone. L’homme se lève et me serre cérémonieusement la main. Quelle n’était pas ma surprise quand on m’a appris que c’était Valentino en personne !
– Tu as du talent, pourquoi étudies-tu l’économie et pas la mode ?
– Je n’ai pas eu le courage de m’opposer à mes parents. Et puis, dans la famille, on fait tous ça, alors pour l’instant, je pense que c’est bien comme ça. »
Antoinette et son copain sont encore étudiants, mais vivent dans un vaste duplex qu’ils ont fait rénover. Les briques ont été rendues apparentes, le sol de béton travaillé pour qu’il soit agréable à fouler, un chauffage au sol installé, les tapis hérités des parents ont été faits nettoyer. Des lampes de designer ont été trouvées aux puces ou récupérées dans le bureau du paternel. Sur un tabouret recouvert de velours matelassé, le service à whisky vintage attend posément des invités surprise ou un vague à l’âme.
La baie vitrée du rez-de-chaussée a été ouverte pour l’occasion et le couple a sorti ses meubles chinés. Un fauteuil de velours bordeaux auquel il manque un bras, un tabouret 18e, des fauteuils crème 70s. Sur les tables recouvertes de nappes blanches sont disposés des bouquets de fleurs blanches, de la vaisselle de bronze trouvée aux puces et des verres de cristal.
Dans les fauteuil de velours, se tiennent déjà le père et la grand-mère. Le grand frère, Kalvin, aussi est présent – au cours de la soirée, la plupart des invités se révèlent être de la famille, sinon des amis de la famille.
Je remarque que la bouteille de Sekt que j’ai achetée au EDEKA est superflue : des armées de champagne se tiennent coites, prêtes à être décapsulées. La boisson est servie avec des feuilles de menthe fraîche, dont le bouquet orne négligemment la table, et du sirop de sureau fait maison par Antoinette. Entre les candélabres blancs dont la cire dégouline sur la nappe, des plats de crudités rustiques. Même les carottes ont du style. Elle semblent tout droit sorties de la terre tout en étant parfaitement propres. On peut les tremper dans une coupelle d’huile d’olive parfumée au sel et à la levure de bière. Une attention aux véganes de l’assemblée ?
Antoinette virevolte entre les invités. « Désires-tu encore du champagne ? ». Elle s’assure régulièrement que tout le monde va bien. « Tu vas bien ? ». À 20 ans, elle est déjà une hôtesse attentionnée. La soirée aurait pu être photographiée par Vogue, que rien n’aurait été différent.
Johan
J’avais le souvenir de Johan comme d’un adolescent chétif. Je revois un homme d’affaires du début du siècle dernier. Il revient d’un week-end de chasse dans un château à la campagne.
Silhouette n°2 : Chapeau à plume, lunettes rondes, barbe imposante, foulard de soie, costume trois pièces sur une silhouette généreuse, broche en or et pantalon à carreaux. Il ne manque plus que la canne.
Je lui fais la bise.
« Tu as tellement changé depuis la fois dernière, que je ne t’ai presque pas reconnu.
– Il faut dire que j’ai vécu en Afrique entre temps.
– Tu as donc l’impression que c’est l’Afrique qui t’as changé ?
– Ouais.»
Et il se détourne vers une autre conversation.
Georgiana
Georgiana est la petite amie camerounaise de Kalvin.
Silhouette n°3 : combinaison de soie blanche sans manches, la jeune fille est étincelante de chaînettes d’or. Une autour de la tête, une enroulée autour du poignet et du majeur et une troisième à l’oreille droite, la gauche se contentant d’une perle nacrée.
« Tu es née à Berlin ?
– Non, je suis venue du Cameroun en 2009.
– Est-ce que tu ressens une vraie différence dans la façon de vivre ici par rapport à l’Afrique ?
– Bof. »
Peut-être est-elle barbée que je la réduise à ses origines. J’ai entendu dire qu’elle avait des servants en Afrique, mais j’ignore si c’est une blague.
NB : Ce n’était pas une blague.
Kalvin
Silhouette n°4 : pantalon de costume et T-shirt noirs, lunettes rondes marron, chaussures vernies, cheveux laqués.
À 24 ans, Kalvin tient une boutique de vêtements élégants pour homme. Kalvin est gentleman. Voyant mes yeux incrédules lorsque tous les invités s’élancent avec enthousiasme sur la piste de danse pour valser, il m’invite à mon tour.
« Vous allez souvent à des bals ?
– Oui, tout le temps.
– Wow, pour moi, c’est un autre monde.
– C’est un monde très particulier.
– Donc tu en est conscient…
– Tu te sens mal à l’aise ?
– Non, c’est intéressant. »
Amelia
Silhouette n°5 : Elle, c’est la réincarnation de Brigitte Bardot, aux petits seins pointus sous un bustier noir. Une fine ceinture rouge enserre sa taille de guêpe. Elle fait voler son jupon plissé longueur midi vert émeraude et secoue sa chevelure blonde et riant. Assise, elle se tient droite comme un piquet.
Je m’adresse à elle et au garçon qui se tient à ses côtés :
MOI : Vous vous êtes rencontrés comment ?
LE GARÇON : J’ai été fasciné par sa beauté éblouissante et ne pouvais plus réprimer le désir de faire sa connaissance. C’était il y a 5 minutes.
MOI : Donc vous n’êtes pas ensemble ?
LE GARÇON, se tourne vers Amélia et son regard interrogateur semble demander si ses désirs se matérialiseront dans la réalité : Non.
Amélia se contente de secouer ses cheveux en riant.
Franz
Silhouette n°6 : Costume bleu nuit, chemise à poids, foulard rose plié dans la poche de sa veste, nœud pap assorti, cheveux gominés, petites lunettes vintage rondes en écaille.
« Tu aimes la mode ?
– Non.
– Alors tu aimes t’habiller élégamment ?
– Pas spécialement.
– …
– J’ai pioché ça dans ma penderie ce matin, il faut bien que je porte quelque chose. »
Il part.
Le reste de la soirée, il se tient toujours un peu à l’écart. Il a adopté les codes du clan, et pourtant, c’est comme s’il n’y avait pas tout à fait sa place.
Grace
Grace, petite et menue, est romaine, alors elle s’habille comme Audrey Hepburn à Rome.
Silhouette n°7 : carré blond ondulé, total look black & white, pantalon 7/8 à petits carreaux, ballerines noires et ce bronzage qui va si bien aux italiennes.
Les cousins et autres amis
jouent au badminton. Melchior, le cousin, ressemble à James Bond. N’importe lequel. Sauf Daniel Craig of course. D’ailleurs, il joue au badminton de façon très cool, avec style, sa main gauche ne quittant pas la poche de son pantalon de costume bleu marine.
Son adversaire joue de façon un peu rigide. Son costard étriqué empêche la souplesse des mouvements, alors il fait comme il peut. Pourtant, l’élégance est justement dans la souplesse du mouvement.
« C’est vrai, j’ai du mal à jouer avec ça. Mon costume est un peu trop serré.
– Toi aussi tu fais partie de la high society ?
– Non, je me sens un peu perdu ici. Je dois faire attention à mon argent, tu sais. »
Dans l’antre du lapin blanc
Aux douze coups de minuit, la soirée doit se poursuivre à l’anniversaire de Robert, un ami commun à tout le monde. Le carrosse ne se transforme pas en citrouille pour autant.
KALVIN : Tu viens aussi à tous les coups, n’est-ce pas ?
MOI : Mmmh, peut-être. C’est loin ?
KALVIN : Non, pas du tout, à 15 minutes à pied. Aux autres : Eh les gars, on prend un taxi ou on y va à pied ?
ANTOINETTE : Moi, je veux y aller en taxi.
KALVIN : Ah, c’est parce que tu portes des ballerines ?
ANTOINETTE : Oui.
Discussions et négociations dans l’assemblée. On finit par y aller à pied.
Arrivés devant l’immeuble, on sonne à une porte. Le hall d’entrée ressemble à une mini-galerie des glaces.
« Chuuut, cessez de parler ! »
Serait-ce une soirée clandestine ? Nous passons par une cour intérieure et arrivons devant un long couloir étroit. Dums dums dums dums. Bruit de musique bruyante. On est loin de la valse viennoise de tout à l’heure. Moi, j’aime bien les viennois, mais en chocolat chaud. Au bout du couloir, une porte s’ouvre et laisse filtrer une lumière rouge. Quelques invités masqués sortent, élégamment vêtus.
Où suis-je ? On dirait la société secrète de Eyes wide shut. Avant d’entrer, chacun sort de sa poche un billet chiffonné, se fait tamponner l’intérieur du bras et attribuer un masque. Argh, l’entrée n’est pas gratuite…et pas donnée. Fauchée comme toujours, je réfléchis 10 secondes. La musique, la lumière rouge si intrigante, les invités masqués… Qu’y a-t-il derrière cette porte ? J’inspire un grand coup, paie cash et m’engouffre dans l’antre du lapin blanc.
Je m’attendais presque à une orgie, mais c’est beaucoup plus soft. Tout le monde est vêtu de costumes années 20. Robe de satin dos nus, soutien-gorge tout en bijoux porté par-dessus une robe noire, boas en plumes roses, rires, le beau monde. Des grappes de raisin, des fraises et des shots de vodka ornent le comptoir. Pensant naïvement que, vu le prix d’entrée, tout est gratuit, je commande à boire. Je me suis encore trompée. Cette soirée va faire mal.
Robert
L’hôte, Robert donc, aurait pu n’être autre que Chuck Bass masqué.
Silhouette n°8 : Chemise blanche, pantalon de costume noir retenu par des bretelles et démarche étrangement chaloupée de mâle dominant.
C’est dans le même ton qu’il annonce l’entrée de Mimi. Mimi, vêtue d’une robe courte à franges, d’un bandeau à longue plume autour de la tête, et maquillage des yeux noir outrancier, commence à danser sur une chanson de Joséphine Baker. Elle se penche en avant et secoue ses petites fesses, se retourne et secoue sa poitrine.
« Ce serait drôle si elle nous faisait un strip-tease. » Je ne croyais pas si bien dire. Tout y passe si ce n’est la culotte dorée. Les seins aussi, sont pudiquement masqués par des cache-tétons or à pompons.
Mon voisin, rancunier : « Un strip-tease, c’est quand on se déshabille complètement ! ». Oh, ça va.
Les hommes bavent, les filles hésitent entre feinte admiration stoïque et jalousie cachée tant bien que mal.
Musique, danse, impossibilité de se parler, c’est une soirée comme les autres, et je rentre chez moi. En U-Bahn.
Le lendemain, je suis tentée d’écrire une « Thank you note », ce serait si approprié et so appropriate. Je pense qu’Antoinette n’en serait même pas surprise.
Itinera Magica says
Il y a plus d’un un mois, tu avais laissé un commentaire adorable sur mon blog, je m’étais promis de venir ici, et puis le temps a filé, je me suis mariée, partie en voyage de noces… et finalement je suis là, et je me dis que j’aurais dû venir plus tôt.
Ta façon de croquer les scènes, d’entrer dans cette société, de saisir tout cela au vol.. je me régale.
Je vais chercher si tu as une newsletter. Je veux penser à revenir, te suivre dans ta ronde à Berlin ou ailleurs.
greenandthecity says
Tu viens de me motiver encore plus pour continuer à travailler sur tous les textes qui dorment encore, qui attendent d’être retravaillés avant d’être publiés. Je suis très émue que mon blog te plaise, étant donné que j’admire ta facon d’écrire, et justement, de capter la vie avec humour, tendresse et une richesse de langue hors du commun. Pour être au courant des derniers articles, tu peux t’abonner à la page Facebook Green and the City (icône tout juste ajouté ci-dessous). À bientôt!