Ce que les français appellent vulgairement « la fête du travail » donne en Allemagne l’occasion de réjouissances beaucoup plus jouissives.
Maibäume à Cologne
À Cologne, les amoureux accrochent des arbres décorés de bandelettes colorées sous les fenêtres de leur chérie. Mon amie Mira déclare avoir connu une fille ayant reçu 6 Maibäume le 1er mai 1998. « Elle était très jolie et gentille. », explique-t-elle d’un air entendu. Ma voisine s’est un jour retrouvée avec un imposant Maibaum pendu à sa fenêtre. Elle vit au 5e étage.
Parfois, ça donne lieu à des dialogues particuliers dans le métro :
« Nan mais tu fous quoi à transporter ton Maibaum dans la Bahn, c’est n’importe quoi !
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Bah, ouais, je sais, je fais chier tout le monde en encombrant le métro bondé d’un arbre décoré de bandelettes colorées, mais c’est mon Häschen (= lapinou NDLR) et je l’aime, alors elle aura son Maibaum et vous pouvez tous aller vous faire foutre ! »
Musique, mojitos et street food turque à Berlin
À Berlin, vous l’aurez deviné, les festivités sont moins folklo et plus électro. Toutes les rues de Kreuzberg ainsi que les métros de Kotti, Görli et Schlesisches Tor (Schlesi?) ont été bloqués pour l’occasion. Les rues sont bondées. Moyenne d’âge ? 25 ans.
Il fait très chaud. Mon colloc israélien me rétorque que ça, dans son pays, c’est l’hiver. Bon. Il fait chaud pour Berlin. C’est la première journée d’été. J’en profite pour dégainer la silhouette Isabel Marrant : microshort, pull et bottines.
Pour se retrouver, c’est l’enfer. Whatsapp ne marche pas. Mon amie Yumi aura fini par passer la journée toute seule, perdue dans la foule.
Rendez-vous : « Devant le chicken thing, à l’ouest du métro ». Alléluia, pour la première fois de ma vie, la fonction « boussole » de mon iphone m’est indispensable. Mais bon, ça ne m’aide pas trop et je finis par être obligée d’appeler mes amies.
Par chance, je réussis à retrouver mes pin-ups blondes de copines Eva et Mira à l’entrée de Görli. Eva, coupe de playmobil sexy et silhouette sablier (voir Liz Taylor et Sofia Loren…), s’est déjà commandé une bière.
« T’as pas froid ? » me lance celle qui doit regretter de ne pas sentir le soleil caresser ses jambes.
« T’as des collants, non ? » ajoute Mira.
Je fais semblant de comprendre qu’elle fait allusion à la perfection de mon grain de peau : « Non, j’ai les jambes naturellement impeccables, mouahaha. Allez, il fait pas si froid que ça, vous auriez pu mettre une robe.
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C’est vrai, répond Eva, but it snowed 4 days ago, I was confused ! »
De nos jours, il faut apprendre à être flexible et à s’adapter rapidement.
Tout le monde se balade avec des bières ou des mojitos à la main. Pourquoi des mojitos ? « Parce que c’est bon », me répond Eva. Certes.
On s’assoit au Görli devant un concert de tambours, à ce qu’on devine au son, tant la foule ne laisse rien entrevoir. En fait, ici, c’est comme à la plage, sauf qu’il n’y a pas d’espace entre les serviettes. Et qu’il n’y a pas de serviettes. Les gens sont assis par terre, contents d’être là, avec leur amis, et parmi tant d’autres mortels venus célébrer le retour du soleil sur la planète Berlin.
Après avoir été assis quelques temps – c’était sympa -, nous décidons de voir du côté du vrai Maifest. Motivation : manger une glace. Une fois la mission accomplie, old school, chocolat-vanille pour moi et panna cotta – citron pour les filles, nous suivons la foule.
C’est drôle de voir Kreuzberg entièrement piéton. Il y a quelques concerts d’électro et de reggae, pas mal d’odeur d’herbe et des tas de stands de bouffe. Pour la plupart, on dirait des Imbiss turcs délocalisés dans la rue. Des petites mamies en foulard ont probablement cuisiné toute la journée de la veille pour servir leurs spécialités le jour du Maifest.
Les SDF collectionneurs de Pfand font une bonne récolte aujourd’hui. Une foule est réunie et brandit des drapeaux, mais personne ne crie. Une manif à l’allemande ? Les poubelles oranges, inscrites de petites blagues supposées motiver les berlinois à jeter leurs déchets dedans (« Gib’s mir ! », dit l’une. Euh…une blague sexuelle sur une poubelle, sérieux?), sont pleines à craquer. Autour de chacune d’elles, une montagne de déchets.
Mira nous fait remarquer : « Ils auraient pu prévoir un rab de poubelles, ce n’est pas la première fois qu’ils fêtent le Maifest, voyons ! ». Bonne remarque. Pourquoi les autorités n’y ont-elles pas pensé ? Ça doit faire plus roots.
Dernière heure de soleil. Mes amies dégustent un pain turc fourré au fromage et aux épinards. Je passe mon tour. La fois dernière que j’en ai mangé, c’était morte de faim après avoir passé ma seule et unique journée à aider les réfugiés dans un camp. C’était hyper gras et lourd, alors je m’étais vite détoxée au smoothie vert en rentrant, toute privilégiée que je suis.
Nous parlons de médiocrité. C’est quoi la médiocrité ? C’est s’habiller mal, manger mal, sans y prêter attention, c’est traîner des heures sur internet et bosser dans une banque. C’est vivre dans un appart sale. Nous décidons d’éradiquer la médiocrité de notre vie.
Quand le soleil se couche, nous nous disons qu’il n’y a plus de bonne raison de rester. En plus, j’ai froid avec mon microshort, à force de me la péter – mais je me garde bien de l’avouer à Eva. Motivée, elle se rend encore à un salon de philo et litté à Prenzlauer Berg (Prenzi?).
Pour ma part, je finis ma soirée en regardant le coucher du soleil sur Warschauer Strasse, devant le Veganz. J’aime cette station de métro. Elle surplombe la ville bétonnée, les rail du S-Bahn et des tas de carcasses de futurs immeubles. Peut-être que ces étendues de grues et de pierre grise sont plus beaux que le seront les bâtiments une fois construits, si ordinaires. Là où il n’y avait que du béton cru vaguement en construction, il y aura bientôt un centre commercial. Encore ? Le centre commercial. Ça aussi, c’est la médiocrité. (Sauf peut-être le Bikini Berlin, audacieux, artistique et surfant sur le healthy !) Je sirote mon iced matcha latte et baigne mon visage dans les derniers rayons dorés.
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