Lola de Saint Germain / Crédits photo : Coalraw
Longtemps après l’avoir vue scène, le souvenir lancinant de Lola agissait encore comme un subtil et puissant opium sur mon esprit.
C’était un soir d’hiver à Berlin, je marchais longtemps, perdue dans les rues de Prenzlauer Berg. Le gel craquelait mes lèvres. Je me passais la langue dessus et mordais la peau fine pour avoir le goût du sang dans la bouche.
Aux alentours de Schönhauser Allee, je découvris un bar sombre un peu miteux, éclairé aux lumières rouges. Une travestie m’ouvrit, un sourire flamboyant sur ses lèvres carmin. Il fallait payer un peu pour l’entrée, pas beaucoup, ce qu’on veut, c’est pour les artistes, vous savez, il y a un spectacle d’effeuillage burlesque à l’intérieur. Je m’y engouffrai. Il y avait trop de gens dans ce bar et pas assez de fauteuils capitonnés pour s’asseoir.
Une serveuse blonde essayait de ravitailler tous les clients en bière, le plateau en équilibre au-dessus des têtes. Ses seins débordaient de sa micro-salopette. Quand elle passa derrière moi, je sentis sa main m’effleurer la taille. Tout le monde se poussait, la promiscuité était moite, je transpirais. Je commandai un gin tonic et fis tinter les glaçons dans mon verre en attendant que quelque chose se passe.
Lola de Saint Germain / Crédits photo : Atelieri O. Haapala
Au fond du bar, il y avait une petite scène ronde, pas vraiment faite pour danser, juste pour se montrer, à peine surélevée par rapport à la foule.
Au bout d’un moment, la présentatrice monta sur scène. Elle était déguisée en clown court vêtu à perruque vert fluo, assez vulgaire. Elle criait dans le micro, parlait de seins ou de bite, je ne sais plus, chantait faux d’une voix rayée, exprès. Personne ne l’écoutait. Ils étaient tous en train de parler et de se saouler à la bière. Je me dis que c’était n’importe quoi. Elle ria encore une fois, annonça Lola de Saint Germain, la danseuse burlesque parisienne, vous avez entendu, parisienne, oulalaa, puis partit.
Alors, dans l’unique spot de lumière dirigé sur la petite scène ronde, Lola fit son apparition. Elle était toute blanche, de longs cheveux ornés de fleurs effleuraient sa chute de reins. Sa chair laiteuse était parée de lingerie scintillante. Elle se mit à onduler sur une mélodie vintage, un peu intimidée sous la lumière crue. Elle se cachait derrière un maquillage appuyé, le noir autour des yeux rendait son regard invisible. Elle était masquée, protégée par ses fards.
Lola de Saint Germain / Crédits photo : Coalraw
La lingerie habillait ses rondeurs et les magnifiait. Elle n’avait pas fait de programme bikini body, son corps, un sculpteur l’avait moulé de ses mains, corrigeant la courbe de sa hanche d’une caresse.
À nu, Lola était timide. Ce n’était pas la femme fatale, sûre de sa séduction, prête à dévorer l’homme sans défense. Non, elle déployait son corps, son art, sous les regards, vaguement étonnée, mais avec un plaisir évident. Puis, un gant partait, mordu par la danseuse mue d’une subite colère, était jeté dans la foule. Elle ne séduisait pas, elle exprimait par une danse lascive ce que rien d’autre ne pouvait faire comprendre, des émotions dont on pouvait deviner l’intensité sans jamais les saisir tout à fait.
Lola de Saint Germain / Crédits photo : Coalraw
Le mouvement de ses seins lourds aux tétons argentés était hypnotisant. Comment chair pouvait-elle se mouvoir ainsi ?
Je ne me souviens plus si les clients s’étaient brusquement tus ou si c’était moi qui ne les percevais plus, eux, qui continuaient leur bavardage, indifférents à ce qui se passait sous leurs yeux.
Quelques minutes à peine et déjà, le spectacle était passé, comme un songe. Il ne restait dans l’air qu’une électricité à paillettes et ce mot sur mes lèvres écorchées : Lola, Lola…
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