Berlin, hiver 2016 :
À cette époque, je sortais avec Bryan, un bodybuilder black camerounais. Il était sympa, solide et toujours dispo. Je l’appelais vers 22h, après un dîner arrosé avec ma copine Olka, au cours duquel on parlait de sexe. Ça me donnait envie de me faire pénétrer bien profondément, alors je faisais signe à Bryan sur Whatsapp :
Moi : Salut
Bryan : Salut
Moi : Tu fais quoi ?
Bryan : Je t’attends.
Moi : Parfait.
Bryan prenait une douche et m’attendait, on baisait, on riait, puis je repartais à l’aube pour aller bosser. Parfois, j’avais d’autres amants, mais c’était le seul qui résistait à l’hécatombe : il était pas chiant, pas collant, toujours prêt et efficace. « Mon oncle dit qu’il faut toujours donner à manger à une femme avant qu’elle le demande, comme ça, quand elle a faim, c’est vers toi qu’elle vient. » Son oncle avait des tas d’axiomes de ce type. Ce mec, c’était une encyclopédie du parfait séducteur.
« Quand j’étais au lycée, mon oncle disait que le jour où j’invite une fille chez moi, il faut que je cache toutes les possibilités de s’asseoir.
-Comment ça ?
-Eh bien tu planques toutes les chaises, tous les fauteuils etc., comme ça, elle est obligée de s’asseoir sur ton lit. Sauf qu’un lit, au bout d’un moment, c’est inconfortable, alors elle va forcément finir par s’allonger, et là, elle est à toi, tu peux y aller ! C’est comme ça que j’ai eu mon premier coup. »
Je concédai qu’il s’agissait là d’un pur trait de génie. Je n’arrivais pas à croire les manigances que les hommes devaient mettre en œuvre pour pouvoir coucher. Si j’en juge par ce qu’il me racontait, entre eux, le champ lexical de la séduction s’apparentait à celui de la guerre. Ils fanfaronnaient sur leurs victoires, énonçaient les pays qu’ils avaient conquis et débordaient d’imagination sur la façon d’exprimer qu’ils avaient réussi à s’en faire une.
« J’ai conquis le Cameroun, le Royaume-Uni, l’Espagne, le Canada, puis je suis passé par la Suisse, le Sénégal oh putain, les Sénégalaises…, j’ai mené quelques batailles en Russie, pris d’assaut l’Ukraine…
-Et maintenant tu as envahi la France, c’est ça ?
-Non, la France, j’ai encore beaucoup de batailles à mener. Je veux la coloniser complètement.
-Tu peux toujours rêver, c’est un pays libre qui ne se rendra pas. »
Je n’en revenais pas.
Il me dit un jour : « Toi quand tu viens, on dirait qu’on a un contrat : tu viens, tu fais ton affaire et tu pars. » C’était vrai mais plus subtil que ça. J’appréciais sa compagnie, son humour et il m’intriguait. Il me faisait découvrir un autre monde, celui des hommes qui aiment les femmes, de l’Afrique, de la culture black et le sien. Il s’exprimait comme un marquis rappeur, un mélange inédit que je dégustais comme sa bite.
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Une nuit, après une bonne partie de cul sur le grand canapé-lit en cuir, je sortais de la douche enroulée dans une serviette blanche moelleuse qui me cachait jusqu’à mi-fesses, quand, au milieu du couloir obscur, je tombai nez à nez avec une jeune femme. Bryan m’attendait dans la chambre, on voyait les lumières de la télé allumée se dessiner sur le sol par la porte entrouverte. La femme en question était grande, imposante, visiblement éméchée. Sous une toison de cheveux gras, des yeux noirs cernés et puissants me fixaient. Ils lui conféraient une aura magnétique. Je me recroquevillais dans ma serviette, sentant son regard lourd sur moi.
Elle aboya : « Qu’est-ce que tu fous là, toi ?
-Je suis une copine de Bryan…
-Une copine, mon cul. »
Elle fit volte-face vers la chambre d’où sortait la lumière de la télé : « Bryan, du kannst nicht einfach all deine Bitches hier bringen ! » (« Bryan, tu ne peux pas tout simplement amener toutes tes pétasses ici ! »).
Elle avait l’air furieuse. J’étais outrée (« Pétasse » ? « TES pétasses ? » comment ose-t-elle ?) et flattée : à ses yeux, j’étais une de ces « pétasses », figure mythique fantasmée, féminine et dangereuse. Soudain, je portais de faux ongles, des jeans slim stretch qui dessinent un émouvant bourrelet, j’étais juchée sur des platform shoes aiguille de 11 cm, des anneaux d’or clinquant à mes oreilles, je battais mes faux-cils avec un sourire carnassier dégoulinant de gloss bon marché. Femme sulfureuse, femme vénéneuse, oh, j’adorais ça. Je n’étais qu’une parmi d’autres, une poule dans un poulailler. Je faisais partie d’un bataillon de rivales et cette idée m’amusait follement. Je m’empressai de me réfugier dans la chambre.
Bryan ne l’écoutait pas. « C’est ma colloc. » Il se marrait. Au fond je m’en foutais aussi.
Le lendemain matin, elle voulut me parler en tête-à-tête.
« Viens par ici. C’est sérieux entre vous ?
-Euh…
-Tu vas revenir ?
-Je sais pas.
-Donc ce n’était pas qu’un one-night-stand ? »
(Pas que ça te concerne mais : ) « Non, pas forcément. »
Elle m’expliqua ensuite que Bryan lui devait plusieurs mois de loyer, qu’elle voulait le virer et qu’elle préférait donc qu’on se voie chez moi, pour des questions d’économie d’eau, d’électricité etc. et blablabla. Je dis ok.
La fois prochaine que je me rendis chez Bryan, je passai par la fenêtre, pour plus de discrétion. Quand j’allai prendre ma douche après le sexe, elle fit barrage de son corps entre la salle de bains et moi, et m’interpella, cinglante : « Qu’est-ce que tu fous encore ici ? Je croyais t’avoir bien fait comprendre que je ne veux plus voir ta face.
-Je savais pas que c’est ce que tu entendais par là.
-Eh bien c’est exactement ce que j’entendais par là. »
Elle était décidément hostile à mon égard. Constatant qu’elle ne manifestait pas le moindre respect pour moi, je décidai de me passer d’égards pour elle et criai de tout mon saoul pendant le sexe. Derrière la porte, celle que j’appelais dorénavant « la sorcière » enrageait. Elle tambourinait sur la porte et je jubilais. Visiblement, Bryan était également ravi de la faire chier. Il s’exclamait : « Qu’est-ce qu’elle veut ?
-Elle veut peut-être se joindre à nous ?
-T’es folle !
-Nan je déconne, elle est trop moche. »
Il ne répondait rien.
Entre elle et moi, la guerre était déclarée. J’attendais qu’elle dorme pour oser aller aux toilettes ou prendre ma douche. Elle ne fermait pas l’œil et campait devant pour me coincer. C’était effrayant et excitant. Je kiffais. Je gémissais, elle cognait sur la porte, je criais, elle prenait ma vessie en otage. Le simple fait d’aller prendre ma douche me faisait parcourir de délicieux frissons de terreur.
Une nuit, la sentant rôder devant la salle de bains, je demandai à Bryan d’ouvrir la voie en éclaireur, afin que je puisse prendre ma douche tranquille. J’entendis des éclats de voix dans le couloir, le mot “salon”, et je compris. En revenant, Bryan me dit : « Je sais pas ce que c’est son problème.
-Bah je sais pas, peut-être qu’elle est jalouse ?
-Je ne vois pas pourquoi elle serait jalouse…
-Bryan. Vous avez eu quelque chose ensemble ?
-Euh…oui, on a eu une relation intense qui s’est mal terminée.
-Une relation ?? Vous étiez ensemble combien de temps ?
-Trois ans. Mais ça fait déjà un an que c’est fini, je sais pas pourquoi elle me saoule encore. Elle arrête pas de me tanner pour que je parte, mais en même temps c’est elle qui… » et il continuait avec des griefs encore pas digérés qui me désintéressaient. « Ah oui et t’avais raison sur ce point, elle m’a avoué qu’elle t’attendait devant la salle de bains pour te faire la peau et te jeter dehors. »
Je lui demandai donc de garder mon corps à l’abri de ses griffes le temps que je me faufile dans la douche. Au moment où on passait devant la porte de sa chambre, elle l’ouvrit à la volée et Bryan n’eut que le temps de s’interposer avant qu’elle ne se jette sur moi comme une furie. Je pris ma douche sous les éclats de voix à l’extérieur.
Quand je sortis, ma serviette blanche enroulée au ras des fesses, je la vis qui se débattait dans ses bras musclés. Il la tenait fermement contre son corps. Je voulus d’abord m’interposer pour qu’il la libère, puis me ravisai : elle tentait mollement de se défaire de son étreinte, se coulait plutôt contre son torse, ils étaient presque en train de faire l’amour. Elle gémissait, il la tenait dans ses bras. Elle disait « Bryan, tu me fais mal » et ca se voyait : celle que j’avais pris pour une folle n’était en réalité qu’une femme amoureuse brysée. Elle essayait de toutes ses forces de se libérer de son emprise, mais en était incapable, elle mourait encore d’amour pour ce pauvre indifférent.
Elle pleurait : « Pourquoi, ELLE revient ? Tu l’aimes, c’est ça ? C’est sérieux ? » Il riait et faisait le mec « trop cool pour toi ». Il m’assurait à moi que ce n’était pas DU TOUT le cas, mais alors pas DU TOUT.
Je décidai de ne plus jamais revenir pour ne plus la blesser. Les dettes, je n’en avais rien à foutre, mais l’amour, ça, je pouvais comprendre.
Une semaine plus tard, je me traînais chez lui, la mort dans l’âme, la chatte en feu. Je me donnais bonne conscience en restant relativement discrète niveau sonore. Après tout, je détestais cette connasse qui me traitait comme une pute.
Je me plaisais dans le rôle de la baiseuse indifférente. J’étais au-dessus, maîtresse de mon sexe. Je pouvais raconter des histoires de cœur et de cul, tous les hommes m’étaient plus ou moins indifférents. J’avais aimé intensément par le passé, je savais que bientôt, je plongerais à nouveau. Ces mois-ci, c’était ma trêve.
Quand il déménagea, nous nous lassâmes l’un de l’autre. Elle était le ciment de notre relation superficielle. Sans elle, c’était presque boring.
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